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Page:Tocqueville - Œuvres complètes, édition 1866, volume 3.djvu/313

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dans la plus grande partie de l’Europe. Les progrès singuliers qu’ont faits l’agriculture et l’industrie, durant la même période, ne suffisent point, à mon sens, pour expliquer ce phénomène. Il faut recourir à quelque autre cause plus puissante et plus cachée. Je pense que cette cause doit être cherchée dans les institutions démocratiques que plusieurs peuples européens ont adoptées, et dans les passions démocratiques qui agitent plus ou moins tous les autres.

J’ai souvent entendu de grands propriétaires anglais se féliciter de ce que, de nos jours, ils tirent beaucoup plus d’argent de leurs domaines, que ne le faisaient leurs pères.

Ils ont peut-être raison de se réjouir ; mais, à coup sûr, ils ne savent point de quoi ils se réjouissent. Ils croient faire un profit net, et ils ne font qu’un échange. C’est leur influence qu’ils cèdent à deniers comptants ; et ce qu’ils gagnent en argent, ils vont bientôt le perdre en pouvoir.

Il y a encore un autre signe auquel on peut aisément reconnaître qu’une grande révolution démocratique s’accomplit ou se prépare.

Au moyen-âge, presque toutes les terres étaient louées à perpétuité, ou du moins à très-longs termes. Quand on étudie l’économie domestique de ce temps, on voit que les baux de quatre-vingt-dix-neuf ans y étaient plus fréquents que ceux de douze ne le sont de nos jours.

On croyait alors à l’immortalité des familles ; les