Page:Tocqueville - Œuvres complètes, édition 1866, volume 3.djvu/33

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Mais il y a d’autres raisons encore qui poussent les hommes à généraliser leurs idées ou les en éloignent.

Les Américains font beaucoup plus souvent usage que les Anglais des idées générales et s’y complaisent bien davantage ; cela paraît fort singulier au premier abord, si l’on considère que ces deux peuples ont une même origine, qu’ils ont vécu pendant des siècles sous les mêmes lois, et qu’ils se communiquent encore sans cesse leurs opinions et leurs mœurs. Le contraste paraît beaucoup plus frappant encore lorsque l’on concentre ses regards sur notre Europe, et que l’on compare entre eux les deux peuples les plus éclairés qui l’habitent.

On dirait que chez les Anglais l’esprit humain ne s’arrache qu’avec regret et avec douleur à la contemplation des faits particuliers pour remonter de là jusqu’aux causes, et qu’il ne généralise qu’en dépit de lui-même.

Il semble, au contraire, que parmi nous le goût des idées générales soit devenu une passion si effrénée qu’il faille à tout propos la satisfaire. J’apprends, chaque matin en me réveillant, qu’on vient de découvrir une certaine loi générale et éternelle dont je n’avais jamais ouï parler jusque là. Il n’y a pas de si médiocre écrivain auquel il suffise pour son coup d’essai de découvrir des vérités applicables à un grand royaume, et qui ne reste mécontent de lui-même, s’il n’a pu renfermer le genre humain dans le sujet de son discours.

Une pareille dissemblance entre deux peuples très-éclairés m’étonne. Si je reporte enfin mon esprit vers l’Angleterre, et que je remarque ce qui se passe depuis