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Page:Tocqueville - Œuvres complètes, édition 1866, volume 3.djvu/343

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Dans un pays où la femme exerce toujours librement son choix, et où l’éducation l’a mise en état de bien choisir, l’opinion publique est inexorable pour ses fautes.

Le rigorisme des Américains naît, en partie, de là. Ils considèrent le mariage comme un contrat souvent onéreux, mais dont cependant on est tenu à la rigueur d’exécuter toutes les clauses, parce qu’on a pu les connaître toutes à l’avance, et qu’on a joui de la liberté entière de ne s’obliger à rien.

Ce qui rend la fidélité plus obligatoire la rend plus facile.

Dans les pays aristocratiques le mariage a plutôt pour but d’unir des biens que des personnes ; aussi arrive-t-il quelquefois que le mari y est pris à l’école et la femme en nourrice. Il n’est pas étonnant que le lien conjugal qui retient unies les fortunes de ces deux époux laisse leurs cœurs errer à l’aventure. Cela découle naturellement de l’esprit du contrat.

Quand, au contraire, chacun choisit toujours lui--

    des êtres mal assortis ou contraints. Quoique une longue tolérance ait depuis longtemps relâché nos mœurs, il parviendrait difficilement à nous intéresser aux malheurs de ces personnages s’il ne commençait par faire excuser leur faute. Cet artifice ne manque guère de réussir. Le spectacle journalier dont nous sommes témoins nous prépare de loin à l’indulgence.

    Les écrivains américains ne sauraient rendre aux yeux de leurs lecteurs de pareilles excuses vraisemblables ; leurs usages, leurs lois, s’y refusent et, désespérant de rendre le désordre aimable, ils ne le peignent point. C’est, en partie, à cette cause qu’il faut attribuer le petit nombre de romans qui se publient aux États-Unis.