Page:Tocqueville - Œuvres complètes, édition 1866, volume 3.djvu/424

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j'ai fait voir enfin comment elle inspirait à chaque homme un désir ardent et constant d'augmenter son bien-être. Il n'y a rien de plus contraire aux passions révolutionnaires que toutes ces choses.

Il peut se faire que par son résultat final une révolution serve l'industrie et le commerce ; mais son premier effet sera presque toujours de ruiner les industriels et les commerçants, parce qu'elle ne peut manquer de changer tout d'abord l'état général de la consommation, et de renverser momentanément la proportion qui existait entre la reproduction et les besoins.

Je ne sache rien d'ailleurs de plus opposé aux mœurs révolutionnaires que les mœurs commerciales. Le commerce est naturellement ennemi de toutes les passions violentes. Il aime les tempéraments, se plaît dans les compromis, fuit avec grand soin la colère. Il est patient, souple, insinuant, et il n'a recours aux moyens extrêmes que quand la plus absolue nécessité l'y oblige. Le commerce rend les hommes indépendants les uns des autres ; il leur donne une haute idée de leur valeur individuelle ; il les porte à vouloir faire leurs propres affaires, et leur apprend à y réussir ; il les dispose donc à la liberté, mais il les éloigne des révolutions.

Dans une révolution, les possesseurs de biens mobiliers ont plus à craindre que tous les autres ; car, d'une part, leur propriété est souvent aisée à saisir, et, de l'autre, elle peut à tout moment disparaître complétement ; ce qu'ont moins à redouter les propriétaires fonciers qui, en perdant le revenu de leurs terres, espèrent