Page:Tocqueville - Œuvres complètes, édition 1866, volume 3.djvu/43

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le doute sur ces premiers points livrerait toutes leurs actions au hasard, et les condamnerait, en quelque sorte, au désordre et à l’impuissance.

C’est donc la matière sur laquelle il est le plus important que chacun de nous ait des idées arrêtées, et malheureusement c’est aussi celle dans laquelle il est le plus difficile que chacun, livré à lui-même, et par le seul effort de sa raison, en vienne à arrêter ses idées.

Il n’y a que des esprits très-affranchis des préoccupations ordinaires de la vie, très-pénétrants, très-déliés, très-exercés, qui, à l’aide de beaucoup de temps et de soins, puissent percer jusqu’à ces vérités si nécessaires.

Encore voyons-nous que ces philosophes eux-mêmes sont presque toujours environnés d’incertitudes ; qu’à chaque pas la lumière naturelle qui les éclaire s’obscurcit et menace de s’éteindre, et que, malgré tous leurs efforts, ils n’ont encore pu découvrir qu’un petit nombre de notions contradictoires, au milieu desquelles l’esprit humain flotte sans cesse depuis des milliers d’années, sans pouvoir saisir fermement la vérité ni même trouver de nouvelles erreurs. De pareilles études sont fort au-dessus de la capacité moyenne des hommes, et quand même la plupart des hommes seraient capables de s’y livrer, il est évident qu’ils n’en auraient pas le loisir.

Des idées arrêtées sur Dieu et la nature humaine sont indispensables à la pratique journalière de leur vie, et cette pratique les empêche de pouvoir les acquérir.