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Page:Tocqueville - Œuvres complètes, édition 1866, volume 3.djvu/463

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Une semblable cause d'affaiblissement moral ne se rencontre point dans les armées aristocratiques. Les officiers ne s'y trouvent jamais abaissés à leurs propres yeux et à ceux de leurs semblables, parce que, indépendamment de leur grandeur militaire, ils sont grands par eux-mêmes.

L'influence de la paix se fit-elle sentir sur les deux armées de la même manière, les résultats seraient encore différents.

Quand les officiers d'une armée aristocratique ont perdu l'esprit guerrier et le désir de s'élever par les armes, il leur reste encore un certain respect pour l'honneur de leur ordre, et une vieille habitude d'être les premiers et de donner l'exemple. Mais lorsque les officiers d'une armée démocratique n'ont plus l'amour de la guerre et l'ambition militaire, il ne reste rien.

Je pense donc qu'un peuple démocratique qui entreprend une guerre après une longue paix, risque beaucoup plus qu'un autre d'être vaincu ; mais il ne doit pas se laisser aisément abattre par les revers. Car les chances de son armée s'accroissent par la durée même de la guerre.

Lorsque la guerre, en se prolongeant, a enfin arraché tous les citoyens à leurs travaux paisibles et fait échouer leurs petites entreprises, il arrive que les mêmes passions qui leur faisaient attacher tant de prix à la paix se tournent vers les armes. La guerre, après avoir détruit toutes les industries, devient elle-même la grande et unique industrie, et c'est vers elle seule que se dirigent alors