Page:Tocqueville - Œuvres complètes, édition 1866, volume 3.djvu/72

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ou aisés. Ces riches ne seront point liés aussi étroitement entre eux que les membres de l’ancienne classe aristocratique ; ils auront des instincts différents et ne possèderont presque jamais un loisir aussi assuré et aussi complet ; mais ils seront infiniment plus nombreux que ne pouvaient l’être ceux qui composaient cette classe. Ces hommes ne seront point étroitement renfermés dans les préoccupations de la vie matérielle, et ils pourront, bien qu’à des degrés divers, se livrer aux travaux et aux plaisirs de l’intelligence : ils s’y livreront donc ; car, s’il est vrai que l’esprit humain penche par un bout vers le borné, le matériel et l’utile, de l’autre, il s’élève naturellement vers l’infini, l’immatériel et le beau. Les besoins physiques l’attachent à la terre, mais, dès qu’on ne le retient plus, il se redresse de lui-même.

Non seulement le nombre de ceux qui peuvent s’intéresser aux œuvres de l’esprit sera plus grand, mais le goût des jouissances intellectuelles descendra, de proche en proche, jusqu’à ceux mêmes qui, dans les sociétés aristocratiques, ne semblent avoir ni le temps ni la capacité de s’y livrer.

Quand il n’y a plus de richesses héréditaires, de priviléges de classes et de prérogatives de naissance, et que chacun ne tire plus sa force que de lui-même, il devient visible que ce qui fait la principale différence entre la fortune des hommes, c’est l’intelligence. Tout ce qui sert à fortifier, à étendre, à orner l’intelligence, acquiert aussitôt un grand prix.

L’utilité du savoir se découvre avec une clarté toute