Page:Tocqueville - Œuvres complètes, édition 1866, volume 3.djvu/84

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titude, il ne naisse point de temps en temps quelque génie spéculatif, que le seul amour de la vérité enflamme. On peut être assuré que celui-là s’efforcera de percer les plus profonds mystères de la nature, quel que soit l’esprit de son pays et de son temps. Il n’est pas besoin d’aider son essor ; il suffit de ne point l’arrêter. Tout ce que je veux dire est ceci : l’inégalité permanente des conditions porte les hommes à se renfermer dans la recherche orgueilleuse et stérile des vérités abstraites ; tandis que l’état social et les institutions démocratiques les disposent à ne demander aux sciences que leurs applications immédiates et utiles.

Cette tendance est naturelle et inévitable. Il est curieux de la connaître, et il peut être nécessaire de la montrer.

Si ceux qui sont appelés à diriger les nations de nos jours apercevaient clairement et de loin ces instincts nouveaux qui bientôt seront irrésistibles, ils comprendraient qu’avec des lumières et de la liberté, les hommes qui vivent dans les siècles démocratiques, ne peuvent manquer de perfectionner la portion industrielle des sciences, et que désormais tout l’effort du pouvoir social doit se porter à soutenir les hautes études, et à créer de grandes passions scientifiques.

De nos jours, il faut retenir l’esprit humain dans la théorie, il court de lui-même à la pratique, et au lieu de le ramener sans cesse vers l’examen détaillé des effets secondaires, il est bon de l’en distraire quelquefois, pour l’élever jusqu’à la contemplation des causes premières.