Page:Tocqueville - Œuvres complètes, édition 1866, volume 3.djvu/88

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tions aristocratiques, fait que tous ceux qui s’occupent d’un même art, finissent néanmoins par former une classe distincte, toujours composée des mêmes familles, dont tous les membres se connaissent, et où il naît bientôt une opinion publique et un orgueil de corps. Dans une classe industrielle de cette espèce, chaque artisan n’a pas seulement sa fortune à faire, mais sa considération à garder. Ce n’est pas seulement son intérêt qui fait sa règle, ni même celui de l’acheteur, mais celui du corps, et l’intérêt du corps est que chaque artisan produise des chefs-d’œuvre. Dans les siècles aristocratiques, la visée des arts est donc de faire le mieux possible, et non le plus vite, ni au meilleur marché.

Lorsqu’au contraire chaque profession est ouverte à tous, que la foule y entre et en sort sans cesse, et que ses différents membres deviennent étrangers, indifférents et presque invisibles les uns aux autres, à cause de leur multitude, le lien social est détruit, et chaque ouvrier ramené vers lui-même, ne cherche qu’à gagner le plus d’argent possible aux moindres frais, il n’y a plus que la volonté du consommateur qui le limite. Or, il arrive que, dans le même temps, une révolution correspondante se fait sentir chez ce dernier.

Dans les pays où la richesse comme le pouvoir se trouve concentrée, dans quelques mains, et n’en sort pas, l’usage de la plupart des biens de ce monde appartient à un petit nombre d’individus toujours le même ; la nécessité, l’opinion, la modération des désirs en écartent tous les autres.