Aller au contenu

Page:Tocqueville - Œuvres complètes, édition 1866, volume 8.djvu/184

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pas chacun une position indépendante, la faute n’en sera qu’à vous. Toutes les barrières de la naissance et de la pauvreté vont tomber ; désormais le dernier d’entre vous va pouvoir lutter contre le plus puissant à armes égales et sur le même terrain. Que ne suis-je jeune comme vous ? mais toutes mes forces sont épuisées, toutes sortes d’entraves qui n’existeront plus pour vous m’ont comprimé de tous côtés. Vous seriez bien stupides et méprisables si l’enthousiasme d’un pareil moment ne vous ravissait pas ! — En disant ces mots, il s’arrêta vaincu par son émotion, et avant de pouvoir se reprendre il se mit à sangloter pendant quelque temps. Au milieu de la profonde solitude où nous vivions, nous n’avions encore rien appris des agitations qui, à Paris, pronostiquaient une crise prochaine ; nous regardions donc notre père avec stupéfaction et attendions sans répondre ce qu’il allait ajouter. Alors il nous raconte, avec des paroles entrecoupées, les scènes du Palais-Royal, l’immense enthousiasme qui avait saisi le peuple, comment cet enthousiasme avait renversé tous les obstacles ; comment enfin la Bastille avait été prise, et les victimes du despotisme délivrées : prodigieux mouvement, en effet ! Ce n’était pas seulement une révolution qui commençait en France, mais dans toute l’Europe ; elle avait ses racines dans des millions d’âmes… ces premiers moments d’enthousiasme qu’allait suivre une si terrible ruine, avaient en eux-mêmes quelque chose de pur et de saint qui ne s’oubliera jamais… (Was ich erlebte, vol. I, p. 362.) »

14 juillet 1789.

Caractère ordonné et désordonné du peuple de Paris en émeute. Idée qu’il est devenu un autre peuple. Mirage qui se voit à chaque révolution.

Dès le 14 juillet 1789, on voit ces traits se montrer…

« Au milieu du tumulte, les prisonniers pour crimes com-