Page:Tocqueville - Œuvres complètes, édition 1866, volume 8.djvu/381

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pu le faire qu’en leur donnant un pouvoir politique, l’aristocratie de l’argent ne tarda pas à s’établir, et, à mesure que le monde devint plus civilisé et les moyens de s’enrichir plus aisés, elle s’accrut, tandis que l’autre aristocratie ne cessa, par les mêmes raisons, de perdre. Depuis cinquante ans, à peu près, on peut considérer cette révolution comme accomplie en Angleterre. A partir de cette époque, la naissance n’est plus qu’un ornement ou tout au plus un aide de l’argent. L’argent est la vraie puissance. La richesse n’est donc pas seulement devenue en Angleterre un élément de considération, de plaisirs, de bonheur ; mais encore un élément, et, on pourrait dire, le seul élément du pouvoir, ce qui ne s’était jamais vu, à ce que je sache, chez aucune autre nation et dans aucun autre siècle. Ce poids immense, étant mis dans la balance du côté de la richesse, toute l'âme humaine fut entraînée de ce côté. On a attribué à la richesse ce qui lui revient naturellement et aussi ce qui ne lui revient pas. La richesse a donné la jouissance matérielle, le pouvoir, et aussi la considération, l’estime, le plaisir intellectuel. Dans tous les pays, il semble malheureux de n’être pas riche. En Angleterre, c’est un horrible malheur d’être pauvre. La richesse réveille d’un seul coup l’idée du bonheur et toutes les idées accessoires du bonheur ; la pauvreté, ou même la médiocrité, l’image de l’infortune et toutes les idées accessoires de l'infortune. Chacun des ressorts de l’âme humaine se trouva aussitôt tendu vers l’acquisition des richesses. Dans d’autres pays, on recherche l’opulence pour jouir de la vie :