Page:Tocqueville - Œuvres complètes, édition 1866, volume 9.djvu/154

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s’unir à lui sans une dispense du Pape. Guillaume, craignant d’attirer l’attention du roi de France par une démarche auprès du Saint Père, épousa d’abord sa cousine et demanda ensuite l’absolution de son péché. Le Pape la lui accorda, à condition qu’il fonderait cent places de pauvres dans chacune des quatre villes principales du duché. Wace, dans son histoire rimée des Ducs de Normandie, écrite vers le milieu du douzième siècle, nous apprend que Cherbourg ; était du nombre de ces quatre villes[1]. Ce fragment est aussi curieux pour l’histoire de la langue que pour celle du pays. Quoique l’un des premiers monuments de la langue française, il se rapproche beaucoup plus du français moderne que ne le font des écrits très-postérieurs, notamment la chronique de Ville-Hardouin, qui n’a été composée cependant que dans le siècle suivant.

En 1066, on voit un comte de Cherbourg à la bataille d’Hastings. En 1145, la fille du Conquérant, Mathilde, passait d’Angleterre en France. Assaillie par une violente tempête, elle fit serment de chanter un hymne à la Vierge sitôt qu’elle aborderait en sûreté. Elle mit pied à terre sur le bord d’un ruisseau qui se décharge à l’entrée du port de Cherbourg, et le lieu sur lequel elle rendit grâce à Dieu se nomme encore aujourd’hui Chante-Reine. C’est à côté de cette plage que devait s’ouvrir, six cent soixante-trois ans après, le port militaire. En 1207, cette ville tomba, comme tout le reste du duché, dans le domaine immédiat du roi de France. Elle

  1. Li Dus por satisfaction
    Et que Dex leur fasse pardon,
    Et que l’Apostole consente
    Que tenir puisse sa parente,
    Fist cent prouades establir,
    À cent poures paistre et vestir
    À Chierboug et a Rouen,
    À Bayez et à Caen.
    Encore y sont, encore y durent,
    Si comme establis y furent.