Page:Tocqueville - Œuvres complètes, édition 1866, volume 9.djvu/165

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qu'on voulait y faire . Il paraît bien certain que la seule pensée de Louis XVI fut de créer à Cherbourg une rade tenable qui pût, au besoin, offrir un refuge à une flotte et prévenir ce qui était arrivé à la Hougue un siècle auparavant. Si l'idée de fermer entièrement cette rade par une digue continue et insubmersible, et d’établir au fond de la baie un grand port militaire, se présenta à quelques esprits, elle fut aussitôt repoussée comme exagérée et presque chimérique. On peut s’en convaincre en lisant ce passage dans les Notes historiques [1]: « Il est sans exemple, dit-il, que l'on ait jamais creusé, à mains d’hommes, des ports assez profonds pour y recevoir des vaisseaux de premier rang ; la nature seule prépare et conserve de semblables cavités. Ce n’est point, d’ailleurs, d’un grand port que la France a besoin ; ce qui manque surtout à nos forces navales, c’est un lieu de station dans la Manche, un asile momentané dans lequel nos escadres, battues des vents ou poursuivies par un ennemi supérieur, puissent trouver promptement, et à portée du théâtre ordinaire de leurs expéditions, un abri sûr et d’où elles soient prêtes à ressortir au premier moment favorable. » M. de la Bretonnière lui-même avait tenu un langage analogue en 1777. Couvrir la rade de Cherbourg par une digue sous-marine, la rendre tenable et n’y laisser pénétrer qu’à travers des passes bien défendues : tel est donc le seul but qu’on se proposa en commençant les travaux ; mais ce premier résultat était déjà très-difficile à atteindre.

Jamais plus grande œuvre ne fut entreprise avec plus de légèreté, et si le mot n’était pas indigne du sujet, avec plus d’étourderie. Étudier attentivement la rade afin de savoir en quel endroit, suivant quelle direction et de quelle manière il convenait d’y établir la digue, en dessiner en quelque sorte le fond à l’aide de sondages répétés et contradictoires, se

  1. Les Notes historiques sont un récit manuscrit très-curieux des premiers travaux de Cherbourg, faits par un officier très distingués qui a été employé à Cherbourg, et qu'on nommait M. Meunier.