Page:Tocqueville - Œuvres complètes, édition 1866, volume 9.djvu/169

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en 1789 et celles qui ont été dressées depuis, on voit que la digue a été placée précisément en travers de l’espace qui, par la profondeur de l’eau et la nature du fond, convenait le mieux aux grands vaisseaux. Elle a coupé en deux la rade au lieu de la couvrir tout entière, et il n’y a rien là qui étonne, quand on pense que, par un renversement étrange des règles du bon sens, ce ne sont pas les forts qui ont été faits en vue de la digue, c’est la digue qui a été faite en vue des forts. Olui qui lira attentivement ce récit s’élonnera donc à la fois de deux chosrs : de la puissance extraordinaire des hommes qui ont pu contraindre la nature à livrer ce qu’elle refusait, et de leur imprévoyance puérile qui a fait négliger on détruire les biens qu’elle offrait spontanément. Leurs petites querelles, leurs vanités intraitables et leurs misérables jalousies lui paraîtront les principaux obstacles qu’ils aient rencontrés, et il tombera d’accord avec nous que la rivalité perpétuelle de l’administration de la marine et de celle de la guerre a plus retardé la création d’un port à Cherbourg que les rochers, les vents et la mer ensemble.

La place que devait occuper la digue étant ainsi fixée, on s’occupa de savoir comment on s’y prendrait pour la fonder . C’est au capitaine de la Bretonnière que revient l'honneur d’avoir conçu le premier l’idée d’une digue isolée des terres, et jetée à une lieue au large. Vauban lui-même ne l’avait pas eue. Les plans dressés par lui ou sous ses yeux, qui existent au dépôt de la marine, le constatent ; l’un de ces plans indique que le projet de Vauban était de construire deux digues. La première, longue de deux cents toises, partait du Hommet, et la seconde, longue de six cents toises, de l’île Pelée. L’autre plan montre seulement l’intention de couvrir par une digue de deux cent cinquante toises la fosse du Gallet. Ce fut également le capitaine de la Bretonnière qui mit le premier eu avant l’idée de faire la digue en pierres perdues ;. Rien de plus simple et de plus économique que ce système : il consistait à verser suceessivement dans la mer assez de pierres