Page:Tocqueville - Œuvres complètes, édition 1866, volume 9.djvu/181

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C’était vraissemblablement M. Cachin qui avait fait prévaloir cette idée dans le sein de la commission de 1712. Il est naturel qu’il ait voulu l’appliquer, dix ans après, lorsqu’en 1802, Napoléon le chargea de recommencer les travaux. M. Cachin entreprit donc d’élever la digue au-dessus des plus hautes mers, à l’aide de très-gros blocs de pierres non liés entre eux. Une fois que ces blocs auraient dépassé le niveau des hautes mers, ou devait fonder sur leur masse amoncelée le terre-plein et les parapets que Napoléon avait commandés. M. Cachin se pourvut de blocs d’un volume énorme : ils avaient jusqu’à soixante et quatre-vingts pieds cubes, et pesaient chacun de sept à huit mille livres ; il appliqua des appareils très-puissants et très-ingénieux pour transportera la digue et monter jusque sur son sommet ces pierres immenses. L’entreprise fut poussée avec une ardeur sans égale. Les deux ans indiqués par la volonté impatiente et absolue du premier Consul étaient à peine écoulés, que l’île factice s’élevait déjà au-dessus des flots ; les revêtements étaient achevés, les canons braqués. L’inauguration de ce monument extraordinaire fut faite au milieu d’un enthousiasme universel : le génie de Napoléon, après avoir vaincu les nations, triomphait enfin, disait-on, de la nature elle-même. Cette joie était prématurée.

Lors d’une première tempête qui eut lieu à la fin de 1803, on s’était aperçu que les blocs qui servaient de fondement à la batterie avaient été remués par la mer, ce qui avait fait écrouler quelques-uns des ouvrages qui reposaient dessus. Chacune des violentes tempêtes qui se succédèrent jusqu’en 1808, produisit des effets analogues, tantôt sur un point, tantôt sur un autre. Ces avaries étaient aussitôt réparées, et la foi de M. Cachin dans la bonté de son système n’en paraissait point ébranlée. C’est une chose tout à la fois plaisante et triste que de voir cet homme de talent, dans le Mémoire qu’il a publié sur les travaux de la digue, épuiser toutes les ressources de son esprit et recourir aux raisonnements les