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Page:Tocqueville - Œuvres complètes, édition 1866, volume 9.djvu/210

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le seul arsenal est situé à quelques lieues de ses côtes, où une grande flotte puisse se créer ou se rassembler dans un abri suffisant et sûr ; c’est le seul lieu dont elle puisse s’élancer en tout temps pour parcourir courir celle partie de la mer appelée par les Anglais the british channel, le canal anglais. Tout ce qui a accru, depuis un siècle, la puissance maritime des Anglais, a accru pour nous l’importance de Cherbourg, et ce port ne nous a jamais été aussi nécessaire que depuis que toutes les marines de l’Europe étant tombées à un rang secondaire, l’Angleterre est devenue la dominatrice des mers, et pour ainsi dire l’unique adversaire que nous ayons désormais à y rencontrer.

L’avantage qu’a le port de Cherbourg de ne pouvoir être bloqué que très-difficilement et très-passagèrement, mérite surtout qu’on le remarque. Il ne faut pas oublier que nous combattons, d’ordinaire, contre un peuple qui est maître de la mer. Or, les guerres navales ont cela de particulier que la nation la plus forte peut non-seulement battre la plus faible, mais lui ôter en quelque sorte l’usage de ses armes. Placée à l’ouverture de ses ports, elle ferme à ses vaisseaux, le chemin de la mer. Elle n’a pas besoin de les vaincre, elle les empêche de combattre. C’est ainsi que les Anglais ont procédé pendant toutes les guerres de l’Empire. Le grand mérite de Cherbourg est de n’avoir presque rien à craindre de cette tactique. La flotte ennemie peut stationner à l’entrée du goulet de Brest ; elle peut se placer encore plus facilement en vue de Toulon ; elle ne saurait se tenir longtemps en face de Cherbourg. Les courants, les vents et l’absence absolue de tout abri l’en empêchent. Tous nos autres grands ports militaires peuvent devenir pour nos vaisseaux une prison, Cherbourg seul n’est jamais pour eux qu’un refuge. Napoléon avait bien aperçu celle vérité : aussi on se rappelle que, dès 1801, à peine assis sur le trône sous le nom de Consul, il tourna ses regards vers Cherbourg. Toutefois, on peut dire que Napoléon lui-même,