Page:Tocqueville - Œuvres complètes, édition 1866, volume 9.djvu/231

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Une poignée de sectaires aborde, vers le commencement du dix-septième siècle, sur les côtes de l’Amérique du Nord ; là, ils fondent, presque en secret, une société à laquelle ils donnent pour base la liberté et la religion. Cette bande de pieux aventuriers est devenue depuis un grand peuple, et la nation créée par elle est restée la plus libre et la plus croyante qui soit au monde. Dans une île dépendante du même continent et presque à la même époque, un ramas de pirates, écume de l’Europe, venait chercher un asile. Ces hommes dépravés, mais intelligents, y établissaient aussi une société qui ne tarda pas à s’éloigner des habitudes déprédatrices de ses fondateurs. Elle devint riche et éclairée ; mais elle resta la plus corrompue du globe, et ses vices ont préparé la sanglante catastrophe qui a terminé son existence.

Au reste, sans aller chercher l’exemple de la Nouvelle-Angleterre et de Saint-Domingue, il nous suffirait, pour mieux faire comprendre notre pensée, d’exposer ce qui se passe dans l’Australie elle-même.

La société[1], en Australie, est divisée en diverses classes aussi séparées et aussi ennemies les unes des autres que les différentes classes du moyen âge. Le condamné est exposé au mépris de celui qui a obtenu sa libération : celui-ci, aux outrages de son propre fils, né dans la liberté ; et tous, à la hauteur du colon dont l’origine est sans tache. Ce sont comme quatre nations qui se rencontrent sur le même sol.

On jugera des sentiments qui animent entre eux ces différents membres d’un même peuple par le morceau suivant qu’on trouve dans le rapport de M. Bigge : « Tant que ces sentiments de jalousie et d’inimitié subsisteront, dit-il, il ne faut pas songer à introduire l’institution du jury dans la colonie. Avec l’état actuel des choses, un jury composé

  1. Enquêtes de 1812 et 1819. — Rapport de M. Bigge. — Rapport de la commission du budget de 1830, et documents législatifs envoyés par le Parlement britannique