Page:Tocqueville - Œuvres complètes, édition 1866, volume 9.djvu/235

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On dirait que l’univers est encore divisé par la ligne imaginaire qu’avaient tracée les papes, et qu’au delà s’étendent des continents inconnus où l’imagination peut aller se perdre en liberté.

C’est cependant sur ce terrain limité que nous voudrions voir venir les partisans de la déportation ; c’est cette question toute de fait que nous désirerions le plus éclaircir.

Quant à nous, nous avouerons sans difficulté que nous n’apercevons nulle part le lieu dont pourrait s’emparer la France. Le monde ne nous semble plus vacant, toutes les places nous y paraissent occupées.

Qu’on se rappelle ce que nous avons dit plus haut sur le choix à faire d’un lieu propre à l’établissement d’une colonie pénale, ce qui, je crois, n’est pas contesté.

Or nous posons ici la question en termes précis : Dans quelle partie du monde se rencontre aujourd’hui un semblable lieu ?

Ce lieu, la fortune l’indiquait aux Anglais il y a cinquante ans. Continent immense, et, par conséquent, avenir sans bornes, ports spacieux, relâches assurées, terre féconde et inhabitée, climat de l’Europe, tout s’y trouvait réuni, et ce lieu privilégié était placé aux antipodes.

Pourquoi, dira-t-on, abandonner aux Anglais la libre possession d’un pays dix fois plus grand que l’Angleterre ? Deux peuples ne peuvent-ils donc pas se fixer sur cet immense territoire ? Et une population de cinquante mille Anglais se trouvera-t-elle gênée lorsqu’à neuf cents lieues de là, sur la côte de l’Ouest, on voudra établir une colonie française ? Ceux qui font cette question ignorent sans doute que l’Angleterre, avertie par ce qui s’est passé en Amérique, du danger d’avoir des voisins, a déclaré à plusieurs reprises qu’elle ne souffrirait pas qu’un seul établissement européen se fondât en Australie. Nous sentons, certes, autant que d’autres, ce qu’il y a d’orgueil et d’insolence dans une déclaration semblable ; mais les partisans de la déportation