Page:Tocqueville - Œuvres complètes, édition 1866, volume 9.djvu/239

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Trésor. L’entreprise, dût-elle avoir un succès heureux, dût-il même en résulter par la suite une économie, la France ne nous semble pas en état de s’imposer la première avance. Le résultat ne nous paraît nullement en rapport avec de pareils sacrifices.

Et d’ailleurs, est-on sûr de recueillir pendant longtemps les fruits d’une si coûteuse entreprise ?

Ceux qui s’occupent des colonies pénales ont soin, en général, de peu s’appesantir sur les chances qu’une guerre maritime ferait nécessairement courir à la nouvelle colonie ; ou, s’ils en parlent, c’est pour repousser loin d’eux la pensée que la France pût redouter un conflit et n’eût pas la force de faire respecter en tout temps la justice de ses droits.

Nous ne suivrons pas cet exemple : la véritable grandeur, chez un peuple comme chez un homme, nous a toujours paru consister à entreprendre, non tout ce qu’on désire, mais tout ce qu’on peut. La sagesse, comme le vrai courage, est de se connaître soi-même et de se juger sans faiblesse, tout en conservant la juste confiance de ses forces.

La position géographique, les établissements coloniaux, la gloire maritime et l’esprit commerçant de l’Angleterre, lui ont donné une prépondérance incontestable sur les mers. Dans l’état actuel des choses, la France peut soutenir contre elle une lutte glorieuse ; elle peut triompher dans des combats particuliers ; elle peut même défendre efficacement des possessions peu éloignées du centre de l’empire ; mais l’histoire nous apprend que ses colonies lointaines ont presque toujours fini par succomber sous les coups de sa rivale.

L’Angleterre a des établissements formés et des lieux de relâche préparés sur tous les rivages ; la France ne peut guère trouver un point d’appui pour ses flottes que sur son territoire ou aux Antilles. L’Angleterre peut disséminer ses forces dans toutes les parties du globe sans rendre les chances de succès inégales ; la France ne peut lutter qu’en