Page:Tocqueville - Œuvres complètes, édition 1866, volume 9.djvu/296

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gêner sur toutes les mers le commerce de la traite et pour arrêter de cette manière le développement des pays qui conservaient encore des esclaves. Les Anglais, en abolissant l’esclavage, se sont privés de certains avantages dont ils désirent ne pas laisser la jouissance aux nations qui n’imitent pas leur exemple, cela est évident, Il est visible que, pour arriver à ce but, ils emploient, selon leur usage, tous les moyens, tantôt la violence, tantôt la ruse, souvent l’hypocrisie et la duplicité ; mais tous ces faits sont subséquents à l’abolition de l’esclavage et n’empêchent pas que ce ne soit un sentiment philantliropique et surtout un sentiment chrétien qui ait produit ce grand événement. Cette vérité est incontestable dès qu’on étudie pratiquement la question. Cependant, elle avait été obscurcie par tous ceux que gêne l’exemple de l’Angleterre. Il était nécessaire de la remettre dans tout son jour avant d’expliquer les détails de l’émancipation anglaise, qui, sans cela, auraient été mal compris.

C’est le 15 mai 1825 que le principe de l’abolition de l’esclavage, qui était débattu depuis longtemps dans le sein du Parlement britannique, finit par y triompher. La chambre des communes déclara ce jour-là qu’il fallait préparer les nègres à la liberté et la leur donner dès qu’ils seraient en état d’en jouir. Cette résolution, en apparence si sage, n’eut que des conséquences funestes : les maîtres, qui étaient ainsi avertis à l’avance que tous les progrès faits par leurs esclaves vers la civilisation allaient être autant de pas vers l’indépendance, se refusèrent à entrer dans les vues bienfaisantes du Parlement. De leur côté, les esclaves, auxquels on montrait la liberté sans leur dire quand on la leur donnerait, devinrent impatients et indociles. Il y eut une insurrection à la Guyane et trois à la Jamaïque. La dernière surtout fut une des plus sanglantes qu’on ait jamais vues. Aussi l’enquête solennelle de 1832 démontra-t-elle que presque aucun progrès n’avait été fait pendant les neuf années qui venaient de s’écouler. Les esclaves étaient restés aussi ignorants et aussi dépravés qu’avant cette époque. Ce fut alors que le Parlement, poussé par les cris incessants de la nation, se détermina enfin à couper le nœud qu’il avait vainement essayé de dénouer.

Le bill du 25 août 1833 déclara donc que le 1er août 1834 l’esclavage cesserait d’exister dans toutes les colonies anglaises. Les colonies à esclaves étaient au nombre de dix-neuf : dix-huit en Amérique et une dans la mer des Indes. Toutefois, le bill du 25 août 1833