Page:Tocqueville - Œuvres complètes, édition 1866, volume 9.djvu/320

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Tel était encore, à peu d’exceptions près, l’état de beaucoup d’entre nos prisons en 1817[1].

Depuis cette époque, plusieurs millions ont été dépensés dans nos seules maisons centrales, dans le but d’y rendre la condition matérielle des détenus plus douce, avant qu’on ait commencé à chercher le moyen de produire sur l’esprit de ces coupables une impression profonde et salutaire, que le mal physique ne produisait plus. Il est résulté de là que la plupart des prisons ont cessé d’être intimidantes, sans devenir réformatrices.

Les conséquences fâcheuses de cet état de choses se sont manifestées par l’augmentation des premiers crimes et par l’accroissement plus marqué encore des récidives.

En 1828, sur mille accusés, il y en avait cent huit en récidive.

En 1841, on en comptait deux cent trente-sept ou plus du double.

En 1828, sur mille prévenus, il y en avait soixante en récidive.

En 1841, on en comptait cent cinquante-quatre en récidive, ou près du triple[2].

Ce sont là les chiffres officiels fournis par les tableaux de la justice criminelle ; mais ils n’indiquent qu’une partie du mal. Beaucoup de récidives échappent entièrement à la connaissance des autorités judiciaires, et ne sont reconnues que dans la prison. Il résulte des pièces fournies par M. le ministre de l’intérieur, et des tableaux mis sous les yeux de la commission, que, sur 18,522 condamnés que contenaient, le 1er  janvier 1843, les maisons centrales, il s’en trouvait 7,565 en récidives, ou 40 sur 100 du nombre total. La commission a donc eu raison de dire que notre système d’emprisonnement a exercé une grande influence sur l’accroissement graduel des crimes. S’il ne faut pas s’exagérer outre mesure cette influence, il serait déraisonnable de nier qu’elle ne soit très-considérable, et qu’elle ne mérite d’attirer vivement l’attention du gouvernement et des chambres.

  1. Une circulaire de l’an IX, citée dans un rapport fait au roi par M. le ministre de l’intérieur, semble indiquer qu’à cette époque la nourriture des détenus n’était pas encore considérée comme une charge obligatoire de l’État ; car cette circonstance recommande de ne procurer le pain de la soupe aux détenus qu’en cas d’indigence absolue.
  2. Il est juste, toutefois, de faire remarquer que le nombre des récidives a crû beaucoup moins vite durant les trois dernières années de la période, que pendant les années antérieures.