Page:Tocqueville - Œuvres complètes, édition 1866, volume 9.djvu/373

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continu. L’emprisonnement intdividuel, comme caractère général de la peine, n’était usité nulle part en 1810. Non-seulement les rédacteurs du code pénal n’ont pas songé à faire subir au criminel la peine de l’emprisonnement individuel, mais on peut dire qu’ils ont eu formellement l’intention contraire. Il existait, en effet, dans le code pénal de 1791, une peine plus dure que celle dont il s’agit en ce moment, mais dont l’isolement formait également la base. C’était la gêne[1]. Le code pénal l’a fait disparaître.

L’article 614 du code d’instruction criminelle, antérieur au code pénal, porte que si le prisonnier use de menace, d’injures ou de violences, il pourra être resserré plus étroitement et enfermé seul.

Si l'emprisonnement individuel est entré dans l’esprit des rédacteurs du code, il a été considéré par eux comme le fait exceptionnel, sans qu’ils imaginassent qu’il dût jamais dégénérer en règle générale.

Le changement qui consiste à introduire dans nos prisons l’isolement des détenus les uns par rapport aux autres, n’est donc pas, il faut le reconnaître, une modification de détail, une de ces variations de régime que l’administration a le droit de faire subir aux condamnés, quand le pouvoir judiciaire les lui livre. Le changement dont il s’agit ici altère profondément la nature et le caractère de la peine d’emprisonnement ; il lui donne une face nouvelle ; non-seulement la peine est nouvelle, mais elle est, quoi qu’on en dise, beaucoup plus sévère que celle qu’elle remplace. Le sentiment public indique qu’il en est ainsi, l’expérience et l’observation des hommes spéciaux le prouvent, le sens pratique des gouvernements n’a pas tardé à le découvrir.

Si la peine nouvelle est plus sévère que celle qui l’a précédée, le projet de loi a raison de vouloir que sa durée soit plus courte. Mais ici se présente une question, on doit l’avouer, très- difficile à résoudre.

  1. Tout condamné à la peine de la gêne, portait l'art. 14 du titre premier du Code pénal, sera renfermé seul, dans un lieu éclairé, sans fers ni liens ; il ne pourra avoir, pendant la durée de la peine, aucune communication avec les autres condamnés ou avec les personnes du dehors. On voit que cet article ne parlait point du travail, et n’admettait aucune communication au dehors.