Page:Tocqueville - Œuvres complètes, édition 1866, volume 9.djvu/447

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Examinons ces deux hypothèses :

Il est très-difficile, sans doute, on doit le reconnaître, de savoir où l’on doit s’arrêter dans l’occupation d’un pays barbare. Comme on n’y rencontre d’ordinaire devant soi, ni gouvernement constitué, ni population stable, on ne parvient presque jamais à y obtenir une frontière respectée. La guerre qui recule les limites de votre territoire ne termine rien ; elle ne fait que préparer un théâtre plus lointain et plus difficile à une nouvelle guerre. C’est ainsi que les choses ont paru se passer longtemps dans l’Algérie elle-même. Une conquête ne manquait jamais de manifester la nécessité d’une nouvelle conquête ; chaque occupation amenait une occupation nouvelle, et l’on conçoit très-bien que la nation, voyant cette extension graduelle et continue de notre domination et de nos sacrifices, se soit quelquefois alarmée, et que les amis mêmes de notre conquête se soient demandé avec inquiétude quand seraient enfin posées ses extrêmes limites, et où s’arrêterait le chiffre de l’armée.

Ces sentiments et ces idées naissaient au sein de l’ignorance profonde dans laquelle nous avons vécu longtemps sur la nature du pays que nous avions entrepris de dominer. Nous ne savions ni jusqu’où il était convenable d’aller, ni où il était non-seulement utile, mais nécessaire de s’arrêter.

Anjouurd’hui on peut dire que, sur ces deux points, la lumière est faite.

Nous ne ferons que rappeler à la Chambre que l’Algérie présente ce bizarre phénomène d’un pays divisé en deux contrées entièrement différentes l’une de l’autre, et cependant absolument unies entre elles par un lien indissoluble et étroit. L’une, le Petit-Désert, qui renferme les pasteurs nomades ; l’autre, le Tell, où habitent les cultivateurs relativement sédentaires. Tout le monde sait maintenant que le Petit-Désert ne peut vivre, si on lui ferme le Tell. Le maître du Tell a donc été depuis le commencement du monde le maître du Petit-Désert ; il y a toujours commandé sans l’occuper, il l’a gouverné sans l’administrer. Or, nous occupons aujourd’hui, sauf la Kabylie, la totalité du Tell ; pourquoi occuperions-nons le Petit-Désert ? Pourquoi ferions-nous plus ou autrement que les Turcs, qui, pendant trois cents ans, y ont régné de cette manière ? L’intérêt de la colonisation ne nous force point à