Page:Tocqueville - Œuvres complètes, édition 1866, volume 9.djvu/464

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y agissent au nom d’une Administration dont ils n'ont jamais étudié l’organisation particulière, et ils y appliquent une législation exceptionnelle dont ils ignorent les règles. Comment s’étonner qu’ils soient souvent au-dessous de leur rôle ?

Nous ne dirons rien de plus sur le personnel. C’est de l’organisation même des services que nous voulons entretenir la Chambre. Il n’y a pas de sociétés qui aient naturellement plus besoin de sùreté, de simplicité et de rapidité dans les procédés administratifs que celles qui se fondent dans un pays nouveau. Ses besoins sont presque toujours mal prévus et pressants, et ils exigent une satisfaction immédiate et facile. Aux prises avec des obstacles de tout genre, l’homme doit y être moins que partout ailleurs gêné par son gouvernement. Ce qu’il en attend surtout, c’est de la sécurité pour les fruits du travail, et de la liberté pour le travail lui-même. Il eût donc été très-nécessaire de créer pour l'Afrique une machine de gouvernement plus simple dans ses rouages et plus prompte dans ses mouvements que celle qui fonctionne en France[1]. On a

  1. La centralisation des affaires à Paris ne fût-elle pas plus complète pour l’Afrique que pour nos départements de France, ce serait déjà un grand mal. Tel principe qui, en cette matière, doit être maintenu comme tutélaire sur le territoire du royaume, devient destructeur dans la colonie. On comprendra bien ceci par un seul exemple.
    Quoi de plus naturel et de plus nécessaire que les règles posées en France pour l'aliénation ou le louage du domaine de l'État ? Rien, en cette matière, ne peut se faire qu’en vertu soit d’une loi, soit d’une ordonnance, soit d’un acte ministériel, en d’autres termes c’est toujours le pouvoir central qui agit sous une forme ou sous une autre. Appliquez rigoureusement les principes de cette législation à l’Afrique, vous suspendez aussitôt la vie sociale elle-même. La création d’une colonie n’est, à proprement parler, autre chose que l’aliénation incessante du domaine de l’Etat en faveur de particuliers qui viennent s’établir dans la contrée nouvelle. Que l’État qui veut coloniser se réserve le droit de fixer à quelles conditions et suivant quelles règles le domaine public doit être concédé ou loué, cela se comprend sans peine : en cette matière, c’est la loi elle-même qui devrait poser les règles. Qu’on réserve au pouvoir central seul le droit d’aliéner d’un seul coup une vaste étendue de territoire, rien de mieux encore, mais que, pour chaque parcelle de terrain, quelque minime qu’elle soit qu’on veut vendre ou louer dans la colonie, il faut venir s’adresser à une autorité de la métropole, il est permis de dire que cela est peu raisonnable : car la disposition du domaine dans une colonie, en faveur des émigrants, nous le répétons, c’est l’opération mère. La