d’immenses privilèges qu’il n’a jamais possédés parmi nous. C’est lui qui, par l’effet de sa seule volonté, arrête, incarcère, prévient, relâche, détient les accusés. Il est le chef unique et tout-puissant de la justice. Seul, il propose l’avancement des magistrats ; seul, il a droit de les déférer au ministre de la guerre, qui peut les censurer, les réprimander et les suspendre.
Si le temps n’est pas venir de rendre en Afrique le juge inamovible, du moins peut-on dire dès à présent qu’aucun besoin social ne justifie suffisamment, par sa spécialité et son urgence, la position exceptionnelle et les pouvoirs exorbitants qu’on a donnés au ministère public. Nous croyons savoir que plusieurs des hommes éminents qui, à différents degrés, ont représenté ou représentent encore cette magistrature en Afrique, sont eux-mêmes de cette opinion.
La majorité de la Commission considère également comme étant à la fois très-alarmant et peu efficace le privilège accordé au gouverneur général d’expulser arbitrairement de l’Algérie les hommes qu’il jugerait dangereux d’y conserver. Nous devons dire toutefois que, sur ce point, les avis ont été partagés. Plusieurs membres ont pensé qu’il n’y avait pas de raisons suffisantes pour retirer au gouverneur général un pouvoir dont on n’avait pas abusé jusqu’à présent, et que, dans l’état précaire d’un pays conquis, il était très-nécessaire de le lui conserver. Ces mêmes membres ont fait observer qu’un pouvoir semblable était exercé par les gouverneurs de toutes nos colonies ; ils ont fait remarquer enfin que son exercice en Algérie n’était point entièrement arbitraire, le gouverneur général ne pouvant agir en cette matière qu’après avoir pris l’avis du conseil supérieur, avis qu’il n’est pas, il vrai, obligé de suivre. La majorité de la Commission, sans dire qu’on eût fait abus du pouvoir d’expulsion que possède le gouverneur général, a persisté à croire qu’un tel pouvoir ne devait pas être laissé dans ses mains sans prendre contre l’abus qu’on en pourrait faire des garanties beaucoup plus sérieuses que celles qui existent aujourd’hui. Il ne lui a pas paru que la population civile de l’Algérie, resserrée comme elle l’est entre les indigènes et la mer, détendue, mais en même temps dominée par une armée aussi nombreuse qu’elle-même, pût faire craindre en aucun cas une résistance sérieuse à l’administration qui la dirige ; elle a pensé que c’était s’exagérer singulièrement l’importance que pouvait avoir un citoyen dans notre établissement