Page:Tocqueville - Œuvres complètes, édition 1866, volume 9.djvu/514

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Tel est l’aspect général que présente, quant à présent, l’Algérie, au point de vue de la colonisation européenne. L’objet du projet de loi que nous discutons en ce moment est de développer cette œuvre ébauchée.

. La Chambre sait quelles sont les idées principales sur lesquelles ce projet repose. Nous ne les rappellerons que très-sommairement. Un appel est fait à l’armée. Parmi les soldats de bonne volonté qui se présentent, et qui ont encore trois ans de service à l’aire, on choisit les plus capables de conduire une entreprise agricole, et on leur donne un congé de six mois pour aller se marier en France. Pendant leur absence, ceux de leurs camarades qui sont restés en Afrique bâtissent les villages, défrichent et sèment les terres. A son retour, le soldat qu’on destine à devenir colon est placé avec sa compagne sur un petit domaine ; l’Etat lui donne un mobilier, des bestiaux, des instruments de travail, des arbres à planter, des semences ; pendant trois ans, il lui laisse la solde et l’habillement, et fournit à lui et à sa famille les vivres. Jusqu’à l’expiration de son service, c’est-à-dire pendant trois ans, il y reste soumis à la discipline militaire, et le temps qu’il passe dans cette situation lui compte comme s’il l’avait passé sous les drapeaux. Après trois ans, les colons militaires passent sous le régime civil.

Aucun de ces détails d’exécution ne se retrouve dans le projet de loi, comme on aurait pu s’y attendre. C’est l’exposé des motifs qui, seul, les fait connaître. Le projet se borne à dire, très-laconiquement, qu’il sera créé en Algérie des camps agricoles, où des terres seront concédées à des militaires de tout grade et de toutes armes, servant ou ayant servi en Afrique.

Écartons d’abord toutes les analogies qu’on pourrait vouloir établir entre ce qui s’est fait en d’autres temps ou ailleurs et ce que le projet de loi veut faire.

L’Autriche, au commencement du dix-huitième siècle, imagina, pour se garantir des incursions des Turcs, qui menaçaient les frontières du côté de la Croatie, de créer dans cette province les colonies militaires qui existent encore et qui prospèrent. La Russie, à la fin du règne d’Alexandre, a formé également dans le sud de son empire des établissements qui portent le nom de colonies militaires. Plusieurs ont été atteints, peu après leur naissance, d’une ruine complète ; d’autres subsistent encore aujourd’hui