Page:Tocqueville - Œuvres complètes, édition 1866, volume 9.djvu/527

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qu’ils y rencontrent les institutions qu’ils trouvent chez eux ou celles qu’ils désirent y trouver ; que la liberté civile et religieuse y règne ; que l’indépendance individuelle y soit assurée ; que la propriété s’y acquière facilement et soit bien garantie ; que le travail y soit libre, l’administration simple et prompte, la justice impartiale et rapide ; les impôts légers, le commerce libre ; que les conditions économiques soient telles qu’on puisse facilement s’y procurer l’aisance et y atteindre souvent la richesse ; faites, en un mot, qu’on y soit aussi bien, et s’il se peut, mieux qu’en Europe, et la population ne tardera pas à y venir et à s’y fixer. Tel est le secret, messieurs, il n’y en a point d’autres.

Avant de se jeter dans des théories exceptionnelles et singulières, il serait bon d’essayer d’abord si la simple méthode dont nous venons de parler ne pourrait pas, par hasard, suffire ; ce n’est pas celle assurément qui a été le plus souvent suivie en Afrique. En Algérie, l’État, qui n’a reculé devant aucun sacrifice pour faire de ses propres mains la fortune des colons, n’a presque pas songé à les mettre en position de la faire eux-mêmes. Il y a presque constamment de manière à ce que la production fût difficile et chère, et le produit sans débouchés. L’Algérie n’avait encore que quelques milliers d’habitants, que déjà on y introduisait plusieurs des impôts de France : le droit d’enregistrement, les patentes, le timbre, que les colonies anglaises d’Amérique repoussaient après deux cents ans d’existence ; les droits de vente, le tarif de nos frais de justice, le système des douanes, les droits de tonnage… Plusieurs de ces impôts sont moins élevés qu’en France, il est vrai, mais ils posent sur une société bien moins capable de les porter. Il est facile de voir pourquoi on a été entraîné dans cette voie, comme on réclamait des Chambres, non-seulement les millions nécessaires pour faire la guerre, mais encore l’argent qu’on employait à subventionner la colonisation et à peupler le pays aux frais de l’État, on voulait placer en regard de ces sacrifices qu’imposait l’Afrique, les revenus qu’elle produisait. Le Trésor public a donc entrepris de reprendre, en quelque sorte, sous forme d’impôts, ce qu’il donnait sous forme de secours. Il eût été mieux de s’abstenir de cette dépense et de cette recette.

Mais ce qui nuit bien plus en Afrique à la production que les impôts, c’est la rareté et la cherté du capital.