Page:Tolstoï - Œuvres complètes, vol10.djvu/136

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de cette vie de jeune fille, sans soucis, pleine d’espoirs. Elle se rappelait surtout et avec le plus de peine les mois d’automne : la chasse, l’oncle, la Noël passée avec Nicolas à Otradnoié. Que ne donnerait-elle pas pour revenir à ce temps, ne serait-ce qu’un seul jour ! Mais c’était fini pour toujours. Le pressentiment que cet état de liberté et de franchise pour toutes les joies, déjà, ne reviendrait plus ne la trompait pas alors. Mais il fallait vivre.

Elle avait de la joie à penser qu’elle n’était pas meilleure, — ce qu’elle s’imaginait autrefois, — mais pire, bien pire que tout au monde. Mais c’était peu. Elle le savait et se demandait : Et après ? Et après il n’y avait rien. Il n’y avait aucune joie dans la vie et la vie passait. Natacha s’efforçait visiblement à ne déranger personne, elle n’empêchait personne de travailler, mais pour elle-même il ne fallait rien. Elle s’éloignait de tous ses familiers, elle ne se sentait à l’aise qu’avec son frère Pétia. Elle préférait passer son temps avec lui plutôt qu’avec les autres, et parfois, dans leurs tête à tête, elle riait.

Elle ne sortait presque pas de la maison, et des hôtes qui la fréquentaient, un seul lui faisait plaisir, Pierre. On ne pouvait se tenir avec plus de tendresse, plus d’égards et en même temps plus de sérieux que le comte Bezoukhov se tenait avec elle. Natacha sentait inconsciemment cette tendresse, c’est pourquoi elle trouvait un grand plaisir dans sa société. Mais elle ne lui était même pas