Page:Tolstoï - Œuvres complètes, vol10.djvu/14

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sommes pas entraînés par les recherches et qui, par suite, contemplons les événements avec le simple bon sens non obscurci, les causes de ces événements nous apparaissent incalculables. À mesure que nous nous enfonçons dans les recherches des causes et que nous discernons chaque cause isolément ou la série des causes, elles se présentent à nous également justes en soi, et également fausses, par leur insignifiance en comparaison de l’énormité de l’événement, et leur insuffisance (sans la participation de toutes les autres causes concordantes) pour produire ce qui est arrivé. Par exemple cette cause : le refus de Napoléon de reculer ses troupes derrière la Vistule et de rendre le duché d’Oldenbourg a pour nous la même valeur que le désir ou l’absence de désir du premier caporal français venu de réengager, car s’il n’avait pas voulu reprendre du service et si deux, trois, mille caporaux et soldats l’avaient imité, il y aurait eu moins d’hommes dans l’armée de Napoléon, et il n’y aurait pas eu de guerre.

Si Napoléon ne s’était pas offensé qu’on lui eût enjoint de se retirer derrière la Vistule et n’avait pas ordonné aux troupes d’avancer, la guerre n’aurait pas eu lieu. Mais si tous les sergents n’avaient pas voulu réengager, la guerre eût été également impossible. De même elle eût été impossible si l’Angleterre n’avait pas intrigué, si le prince d’Oldenbourg n’avait pas existé, si Alexandre n’eût pas