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Page:Tolstoï - Œuvres complètes, vol10.djvu/428

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où quatre-vingt mille hommes succombèrent eut lieu non par la volonté de Napoléon (bien qu’il ait donné des ordres sur le commencement et sur la marche de la bataille) mais qu’il lui semblait seulement qu’il l’ordonnait, quelque étrange que paraisse cette supposition, la dignité humaine qui me dit que chacun de nous, s’il n’est pas plus grand que Napoléon, n’est pas moindre, cette dignité humaine nous pousse à admettre cette solution de la question et les recherches historiques confirment abondamment cette hypothèse.

À la bataille de Borodino, Napoléon ne tirait sur personne et ne tuait personne, ses soldats faisaient cela : alors ce n’était pas lui qui tuait des hommes. Des soldats de l’armée française allaient tuer leurs semblables, dans la bataille de Borodino, non par ordre de Napoléon, mais de leur bon gré.

Toute l’armée — Français, Italiens, Allemands, Polonais — affamée, déguenillée, à bout de forces par la marche, en vue de l’armée qui lui barrait Moscou, sentait que le vin est tiré et qu’il faut le boire. Si Napoléon, à ce moment, leur eût défendu de se battre avec les Russes, ils l’auraient tué et se seraient battus avec les Russes parce que cela leur était nécessaire.

Quand ils eurent écouté l’ordre de Napoléon qui, pour les consoler de leurs blessures et de la mort, leur disait, paroles pour la postérité, qu’ils étaient de la bataille de Moscova ! ils criaient : Vive l’em-