Page:Tolstoï - Œuvres complètes, vol10.djvu/501

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Ils en veulent encore, donnez-leur-en ! prononça Napoléon d’une voix rauque en fronçant les sourcils.

Sans qu’il donnât des ordres, ce qu’il désirait se faisait, et il ne donnait des ordres que parce qu’il pensait qu’on en attendait de lui. Et de nouveau il se transportait dans ce monde intérieur ancien, artificiel, peuplé d’images quelconques de grandeur chimérique, et de nouveau (tel un cheval qui marche en faisant mouvoir la roue et s’imagine faire quelque chose pour soi) il se mettait docilement à remplir le rôle cruel, triste, pénible, inhumain qui lui était dévolu.

Et l’esprit et la conscience de cet homme étaient assombris — non seulement à cette heure, dans ce jour — plus péniblement que ceux de tous les autres acteurs de cette œuvre, mais jamais jusqu’à la fin de sa vie il ne put comprendre ni le bien, ni la beauté, ni la vérité, ni la signification de ces actes, trop contraires au bien et à la vérité, trop éloignés de tout sentiment humain pour les pouvoir comprendre. Il ne pouvait renoncer à ses actes loués par la moitié du monde et c’est pourquoi il devait renoncer au vrai et au bien, à tout acte humain.

Ce n’est pas seulement ce jour-là, qu’en parcourant le champ de bataille plein de morts et de blessés (par sa volonté, à ce qu’il pensait), en regardant ces gens il calculait combien il y avait de Russes contre un Français et, se leurrant soi-même, il trouvait