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Page:Tolstoï - Œuvres complètes, vol11.djvu/368

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était devant lui. Quand il revint à lui après sa blessure, dans son âme momentanément délivrée du poids de la vie, s’épanouissait cette fleur d’amour éternel, libre, qui ne peut provenir de cette vie : il n’avait plus peur de la mort et n’y pensait plus.

Pendant les heures d’isolement douloureux et de demi-délire qu’il traversa après sa blessure, plus il réfléchissait à ce nouveau principe de l’amour éternel, plus, sans même l’apercevoir, il renonçait à la vie terrestre. Aimer tout, tous, se sacrifier sans cesse par amour, cela signifiait n’aimer personne, cela signifiait ne pas vivre de cette vie terrestre. Et plus il se pénétrait de ce principe d’amour, plus il renonçait à la vie, plus il détruisait ce terrible obstacle qui était entre la vie et la mort.

Quand alors il se rappelait qu’il fallait mourir, il se disait : « Eh bien ! tant mieux ! » Mais après cette nuit à Mitistchi, où, pendant le délire, paraissait devant lui celle qu’il désirait, où, en pressant sa main vers ses lèvres, il versait des larmes douces, joyeuses, l’amour de la femme, imperceptiblement, s’infiltrait dans son cœur et l’attirait à la vie. Et des pensées joyeuses et terribles commençaient à lui venir. En se rappelant le moment où il avait aperçu Kouraguine à l’ambulance, il ne pouvait pas ne pas retourner à ce sentiment. Une question le tourmentait : Est-il vivant ou non ? Et il n’osait le demander.

Sa maladie suivait son cours normal, physique,