Page:Tolstoï - Œuvres complètes, vol12.djvu/122

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Maintenant elle le revoyait et éprouvait de nouveau tout ce qu’elle avait éprouvé alors. Elle se souvenait du regard long, triste, sévère à ces paroles, et elle comprit le signe de reproche et de désespoir de ce long regard. « J’ai consenti, se disait maintenant Natacha, que ce serait terrible s’il devait toujours souffrir. Je l’ai dit alors parce que c’eût été terrible pour lui de le comprendre autrement. Il pensait que ce serait terrible pour moi. Il voulait encore vivre, il avait peur de la mort. Et je lui ai dit cela si brutalement, si sottement. Je ne le pensais pas, je pensais à tout autre chose. Si j’avais dit ce que je pensais, j’aurais dit : « Qu’il soit sans cesse mourant devant mes yeux, ce me sera doux en comparaison de ce que je suis maintenant ! Maintenant… il n’y a rien, personne. Le sait-il ? Non. Il ne le sait pas, il ne le saura jamais. Et maintenant il n’y a aucun remède. »

Et de nouveau il lui disait les mêmes paroles, et maintenant, en imagination, Natacha lui répondait autrement. Elle l’arrêtait et disait : « C’est terrible pour vous mais non pour moi. Sachez que sans vous, pour moi, il n’y a rien dans la vie, et souffrir avec vous c’est pour moi le plus grand bonheur. » Et il prenait sa main, la serrait comme il l’avait serrée en cette terrible soirée, quatre jours avant sa mort. En imagination elle lui disait encore d’autres paroles tendres qu’elle aurait pu dire alors et qu’elle disait maintenant :