Page:Tolstoï - Œuvres complètes, vol12.djvu/131

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Natacha était au lit et, dans le demi-jour de la chambre, elle examinait le visage de la princesse Marie et pensait :

« Lui ressemble-t-elle ? Oui et non, mais elle est toute particulière : une autre, tout à fait inconnue. Et elle m’aime ! Qu’y a-t-il en son âme ? Tout est bon. Mais comment ? Que pense-t-elle ? Comme elle me regarde ! Oui, elle est bonne. »

— Macha, dit-elle, attirant timidement sa main. Macha, ne pense pas que je suis mauvaise. Non ! Macha, petite colombe, je t’aime ! soyons amies, tout à fait amies.

Et Natacha se mit à baiser les mains et le visage de la princesse Marie. Celle-ci parut gênée et heureuse de cette expansion des sentiments de Natacha.

Depuis, entre elles, s’établissait cette amitié passionnée et tendre qui ne se rencontre qu’entre femmes. Elles s’embrassaient souvent, se disaient des paroles tendres, passaient ensemble la plupart de leur temps. Si l’une sortait, l’autre était inquiète et tâchait de la rejoindre. Toutes deux, maintenant, sentaient l’accord plus grand entre elles que séparément chacune avec elle-même. Elles étaient unies par un sentiment plus fort que l’amitié : le sentiment de la possibilité exclusive de la vie dans la présence mutuelle. Parfois elles se taisaient des heures entières, parfois, au lit, elles causaient jusqu’au matin. Elles parlaient surtout du passé lointain.