Page:Tolstoï - Œuvres complètes, vol12.djvu/159

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— Eh ! les plantes des pieds tomberont ! lui cria le Roux en remarquant qu’une de ses semelles se détachait. — En voilà un danseur !

Le soldat s’arrêta, arracha un morceau de cuir qui se détachait de ses chaussures et le jeta au feu.

— C’est vrai ! fit-il.

Il s’assit, tira de sa giberne un morceau de toile bleue, de fabrication française, et se mit à envelopper son pied.

— Bientôt on donnera de nouvelles marchandises. On dit que quand nous les aurons écrasés tout à fait, chacun recevra double solde.

— Et voilà, Pétrov, ce fils de chien est resté parmi les traînards, dit le sous-officier.

— Je ne l’ai pas vu depuis longtemps, dit un autre.

— Eh bien ! Quoi, pioupiou…

— On dit qu’à la 3e compagnie neuf hommes manquaient hier à l’appel ?

— Oui, c’est vrai. Où aller quand les pieds sont gelés ?

— À quoi bon bavarder ! fit le sergent.

— Est-ce que tu as envie d’avoir la même chose ? dit le vieux soldat en s’adressant d’un ton de reproche à celui qui parlait de pieds gelés.

— Et que crois-tu donc ? se mit tout à coup à dire d’une voix aiguë et tremblante le petit soldat qu’on appelait le Corbeau, qui se leva derrière le bûcher. — Si on est bien portant, alors on mai-