Page:Tolstoï - Œuvres complètes, vol12.djvu/306

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premier enfant, très faible, qu’il fallut changer trois fois de nourrice, ce qui rendit Natacha malade de désespoir, Pierre, un jour, lui communiqua les idées de Rousseau, qu’il partageait entièrement, sur l’allaitement maternel et le danger des nourrices. Au second enfant, malgré l’opposition de sa mère, du docteur et de son mari qui lui-même était opposé à ce qu’elle nourrît, ce qui était alors inouï et semblait nuisible, elle insista et, dans la suite, nourrit aussi les autres enfants. Très souvent, dans un moment d’emportement, il arrivait que le mari et la femme se disputassent, mais longtemps après la discussion, Pierre, à sa joie et à son étonnement, retrouvait dans les paroles et dans les actes de sa femme cette même idée qu’elle avait combattue. Et non seulement il retrouvait la même idée, mais il la retrouvait épurée de toute l’exagération apportée par la discussion et l’entraînement des mots.

Après sept années de mariage, Pierre se sentait la conscience joyeuse et ferme de n’être pas un mauvais homme, et il sentait cela parce qu’il se voyait reflété en sa femme. En lui, il sentait le bon et le mauvais, mélangés, atténués l’un par l’autre, mais en sa femme se reflétait seulement ce qui était vraiment bon : tout ce qui n’était pas absolument bien était rejeté, et son reflet se produisait non par la voie de la pensée logique, mais d’une façon autre, mystérieuse, immédiate.