Page:Tolstoï - Œuvres complètes, vol12.djvu/40

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toujours à pied, sans jamais être en retard sur les cavaliers.

Il avait, en fait d’armes, un mousquet qu’il portait plutôt par genre, une pique et une hache dont il se servait comme un loup se sert de ses dents : aussi bien pour saisir les puces de son pelage que pour broyer les os les plus durs. Tikhone, avec une sûreté égale, se servait de sa hache pour fendre les bûches ou, la prenant par la tête, coupait de fines baguettes ou taillait des cuillers. Dans le groupe de Denissov, Tikhone occupait une place tout à fait particulière. Quand il fallait faire quelque chose de très difficile ou de vilain : avec l’épaule sortir un chariot de l’ornière, tirer par la queue un cheval d’une mare, dépecer un cheval, s’introduire au milieu même des Français, faire pendant la journée cinquante verstes, tous, en riant, montraient Tikhone.

— Que diable ça peut-il lui faire, un gaillard si solide ! disait-on de lui.

Une fois, un Français que Tikhone avait fait prisonnier lui tira un coup de pistolet qui l’atteignit dans le dos. Cette blessure, que Tikhone soigna exclusivement, tant à l’extérieur qu’à l’intérieur, avec de l’eau-de-vie, était dans tout le détachement le sujet des plus joyeuses plaisanteries, auxquelles, du reste, Tikhone se livrait très volontiers.

— Quoi ! mon cher, ça n’ira plus ?