Page:Tolstoï - Œuvres complètes, vol15.djvu/182

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

mais elle ne s’en émut pas ; elle était sûre de le danser avec lui comme à tous les bals précédents, et elle l’avait déjà refusé à cinq cavaliers, en leur disant qu’elle était retenue. Tout le bal, jusqu’au dernier quadrille, fut pour Kitty un rêve éblouissant de couleurs, de sons joyeux et de mouvements. Elle ne cessait de danser que quand elle était trop fatiguée et avait absolument besoin de se reposer un peu. Mais en dansant le dernier quadrille avec un petit jeune homme ennuyeux, à qui elle n’avait pu refuser, il lui arriva d’avoir pour vis-à-vis Vronskï et Anna. Elle n’avait pas revu Anna depuis le commencement du bal, et subitement, elle lui apparaissait de nouveau, mais sous un aspect tout à fait différent et inattendu. Il lui sembla remarquer en elle ce genre d’excitation qu’elle connaissait si bien par expérience et que provoque généralement le succès. Elle voyait qu’elle était grisée de l’admiration qu’elle avait soulevée ; elle connaissait ce sentiment pour l’avoir éprouvé, et il lui semblait qu’Anna en révélait tous les symptômes ; elle voyait l’éclat tremblant dont brillaient ses yeux, le sourire de bonheur et de béatitude qui s’épanouissait sur ses lèvres et la grâce particulière, pleine de sûreté et d’élégance, de ses mouvements.

— « Pour qui tout cela ? » se demanda-t-elle, « pour tous ou pour un seul ? » Et, sans venir en aide au jeune homme avec qui elle dansait, et qui ne sa-