Page:Tolstoï - Œuvres complètes, vol15.djvu/234

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

riant malgré lui ; je verrai son allure, sa physionomie ; elle parlera, tournera la tête, sourira peut-être.

Mais avant même de la voir, il aperçut son mari que le chef de gare conduisait respectueusement en lui frayant un chemin à travers la foule.

— Hélas ! c’est le mari !

Pour la première fois seulement, Vronskï comprit clairement que le mari était une personne liée à elle. Il savait qu’elle était mariée, mais il ne croyait pas en l’existence du mari, il n’y songea que quand il aperçut son visage, ses épaules, ses jambes en pantalon noir, surtout quand il remarqua avec quel sentiment de dignité il lui prit tranquillement la main.

En apercevant la sévère et haute stature d’Alexis Alexandrovitch, ce Pétersbourgeois au visage frais, en chapeau rond, le dos légèrement voûté, il eût conscience de son existence et éprouva une sensation désagréable, semblable à celle qu’éprouverait un homme tourmenté par la soif qui, arrivé enfin près d’une source, y trouverait un chien, un mouton ou un porc en train de boire et de troubler l’eau. La démarche d’Alexis Alexandrovitch, avec son léger déhanchement et ses jambes courtes, impressionna surtout Vronskï. Il ne reconnaissait qu’à lui-même le droit d’aimer Anna. Quand il aperçut celle-ci, il constata qu’elle était toujours la même et il éprouva intérieurement la même émotion, la