Page:Tolstoï - Œuvres complètes, vol15.djvu/316

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et s’étonnait elle-même de sa capacité de mentir. Ses paroles semblaient simples et naturelles ; il était très vraisemblable qu’elle eût envie de dormir, mais elle se sentait revêtue d’une cuirasse impénétrable de mensonge. Elle sentait qu’une force invincible et inconnue l’aidait, la soutenait.

— Anna, je dois te mettre en garde, dit-il.

— Me mettre en garde ? Contre quoi ?

Elle le regardait avec tant de simplicité, de gaîté, que celui qui ne l’aurait pas aussi bien connue que son mari n’aurait rien remarqué d’anormal dans le sens et le son de ses paroles. Mais pour lui qui la connaissait, qui savait que, quand il se couchait cinq minutes plus tard qu’à l’ordinaire, elle le remarquait et lui en demandait la cause, pour lui qui connaissait toutes ses joies, tous ses plaisirs, toutes ses peines, dès qu’il vit qu’elle feignait de ne pas remarquer son état et qu’elle ne voulait pas dire un mot d’elle même, il comprit qu’il y avait quelque chose.

Il voyait que le fond de son âme qu’elle ne lui avait jusqu’alors jamais caché, lui était fermé. En outre, à son ton, il comprenait qu’elle n’était pas gênée et paraissait lui dire carrément : « Oui, tu ne verras rien, cela doit être et sera dorénavant. » Il éprouvait actuellement un sentiment semblable à celui de l’homme qui reviendrait à sa demeure et la trouverait fermée. « Mais j’en ai peut-être encore la clef », pensa Alexis Alexandrovitch.