Page:Tolstoï - Œuvres complètes, vol15.djvu/401

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pour eux-mêmes de tromper cet enfant. Devant lui ils causaient comme de simples connaissances. Mais malgré cette prudence, Vronskï remarquait souvent le regard attentif et étonné qu’il fixait sur lui ; il constatait une timidité étrange, une variabilité d’humeur chez cet enfant qui se montrait tantôt caressant, tantôt froid avec lui, comme s’il eût compris qu’entre cet homme et sa mère il existait un lien sérieux dont il ne pouvait comprendre la signification.

En effet, l’enfant sentait qu’il ne pouvait comprendre ce rapport et il en était offensé ; il ne pouvait s’expliquer le sentiment qu’il devait avoir pour cet homme. Avec le flair particulier des enfants pour la manifestation du sentiment, il sentait nettement que son père, sa gouvernante, la vieille bonne, que tous, non seulement n’aimaient pas Vronskï, mais le regardaient avec horreur et crainte : bien qu’ils n’osassent rien dire de lui et que lui-même le considérât comme son meilleur ami. « Que signifie donc cela ? Qui est-il ? Comment faut-il l’aimer ? Si je ne comprends pas, je suis coupable, ou bien alors je suis un sot ou un mauvais garçon ? » pensait l’enfant, et c’étaient ces reflexions qui lui donnaient cette expression indécise, interrogative, un peu hostile, cette timidité et cette versatilité qui gênaient tant Vronskï. La présence de cet enfant éveillait toujours en lui un sentiment étrange de dégoût sans cause, surtout dans les derniers temps.