Page:Tolstoï - Œuvres complètes, vol15.djvu/89

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— C’est une idée. J’y pense souvent… Ce serait terrible pour moi et pour elle…

— Oh ! en tout cas, pour la jeune fille, il n’y a rien de terrible à cela ; une jeune fille est toujours fière d’une demande en mariage.

— Oui, toute autre jeune fille, mais pas elle.

Stépan Arkadiévitch sourit. Il connaissait bien la pensée de Lévine ; il savait que pour lui les jeunes filles de l’univers se partageaient en deux groupes : l’un formé de toutes les jeunes filles autres qu’elle, avec toutes les faiblesses humaines, en un mot très ordinaires ; l’autre groupe composé d’elle seule, sans défaut et supérieure à toute créature humaine.

— Attends, prends donc de la sauce, dit-il en arrêtant la main de Lévine qui repoussait la saucière.

Lévine se servit docilement, mais ne laissa pas Stépan Arkadiévitch manger.

— Non, écoute-moi, dit-il. Comprends que c’est pour moi une question de vie ou de mort. Je n’ai jamais parlé de cela à personne et je ne puis en parler qu’à toi. Vois-tu, nous différons tous deux sur bien des points, nous avons chacun nos goûts, nos opinions. Cependant, au fond, je sais que tu me comprends et, pour cette raison, je t’aime beaucoup ; mais, au nom de Dieu, sois tout à fait sincère.

— Je te dis ce que je pense, affirma Stépan Arkadiévitch en souriant. Mais je te dirai plus : ma