Page:Tolstoï - Œuvres complètes, vol17.djvu/83

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que des imbéciles et des sots, Vronskï et surtout Anna lui plaisaient beaucoup.

— Voilà, dit-il, s’éloignant du tableau et le désignant de la main aux visiteurs. C’est le Christ devant Pilate, Matthieu, chapitre xvii. — Il sentait ses lèvres trembler d’émotion.

Il s’éloigna et se plaça derrière eux.

Les quelques secondes de silence pendant lesquelles les visiteurs examinèrent le tableau, Mikhaïlov le regarda aussi d’un œil indifférent, comme s’il eût été lui-même l’un des visiteurs. Pendant ces quelques secondes il attendait un jugement supérieur, infaillible, de ces mêmes personnes qu’il méprisait tant une minute auparavant. Oubliant sa propre opinion et tout ce qu’il avait pensé de son tableau durant les trois années qu’il y avait travaillé, oubliant toutes ses qualités qui étaient pour lui incontestables, il voyait son œuvre du regard froid et critique d’un étranger et n’y trouvait plus rien de bon.

Il voyait au premier plan la figure de Pilate, dépité, et le visage calme du Christ ; au second plan les serviteurs de Pilate et un groupe de gens qui regardaient ce qui se passait. Tous ces personnages avec leurs caractères particuliers, accentués, toutes ces physionomies qui lui avaient valu tant de souffrances et de joies, tous ces visages tant de fois déplacés pour observer l’impression générale, toutes les nuances de la couleur et du ton atteintes