Page:Tolstoï - Œuvres complètes, vol18.djvu/14

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Maintenant elle sentait naître en elle un nouveau sentiment : l’amour pour l’enfant qu’elle attendait, et elle écoutait ce sentiment avec délices. L’enfant n’était déjà plus complètement une partie d’elle-même ; il manifestait parfois une vie indépendante ; souvent elle en ressentait des douleurs, mais en même temps elle exultait de cette nouvelle joie étrange.

Tous ceux qu’elle aimait étaient près d’elle ; tous étaient si tendres pour elle, et la soignaient si bien. Elle ne voyait en tout que le côté agréable, de sorte que si elle n’eût pas su et senti que cela devait bientôt finir, elle n’eût pas désiré une vie meilleure ni plus agréable. Une seule chose lui gâtait la joie de cette vie : son mari n’était pas tel qu’elle l’aimait, tel qu’il était à la campagne.

Elle aimait le ton calme, affectueux, toujours égal, qu’il avait à la campagne ; tandis qu’en ville il paraissait inquiet, comme s’il se fût tenu sur ses gardes par crainte que quelqu’un ne l’offensât et surtout n’offensât sa femme.

Là-bas, à la campagne, se sentant évidemment dans son élément, il ne se hâtait nulle part, et n’était jamais préoccupé. Ici, en ville, il se pressait toujours, et semblait avoir peur de laisser échapper quelque chose, alors qu’il n’avait rien à faire. Et elle le plaignait. Elle savait que pour les autres il ne paraissait pas à plaindre ; au contraire, quand en société, il arrivait à Kitty de le regarder comme