Page:Tolstoï - Œuvres complètes, vol18.djvu/156

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

des femmes du monde chez lesquelles il fréquentait ; tantôt d’une jeune fille imaginaire, pour laquelle Vronskï romprait avec elle, afin de se marier. C’était cette dernière supposition qui la torturait le plus, surtout parce que lui-même, dans un moment de franchise, lui avait dit imprudemment que sa mère le comprenait si peu qu’elle s’était permise de l’exhorter à épouser la princesse Sorokine.

Et, jalouse, Anna s’indignait contre lui, et cherchait des prétextes à son indignation.

Elle l’accusait de tout ce qu’il y avait de pénible en sa situation : les jours d’attente à Moscou, la lenteur et l’indécision d’Alexis Alexandrovitch, son isolement. S’il l’aimait, il comprendrait combien cette situation était pénible et l’en tirerait. Le seul fait qu’ils vivaient à Moscou au lieu d’être à la campagne, lui était encore un grief contre lui : il ne pouvait s’enterrer à la campagne comme elle l’eût voulu ; il avait besoin de société et la mettait dans cette situation épouvantable dont il ne voulait pas comprendre le tourment. C’était encore lui qui était coupable de sa séparation éternelle d’avec son fils. Même les rares moments de tendresse qui survenaient entre eux ne la calmaient pas.

Dans son affection, elle remarquait maintenant une sorte de calme, d’assurance, qu’il n’avait pas auparavant et qui l’agaçait.

La nuit tombait. Anna seule, attendant son retour