Page:Tolstoï - Œuvres complètes, vol18.djvu/158

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— Je ne me soucie pas de votre intérêt pour cette fille, c’est vrai ; car je vois que ce n’est pas sincère.

Cette cruauté avec laquelle il détruisait le monde qu’elle se faisait avec tant d’efforts pour supporter sa vie pénible, cette injustice avec laquelle il l’accusait de feinte et de mensonge l’exaspérèrent.

— Je regrette beaucoup que seules les choses grossières et matérielles vous soient accessibles et vous paraissent naturelles, répondit-elle en sortant de la chambre.

Quand le soir il revint chez elle, ils ne se souvenaient plus de la querelle ; cependant tous deux sentaient qu’elle n’était pas terminée.

Aujourd’hui, de toute la journée, il n’avait pas paru à la maison, et elle se sentait si seule, si triste, qu’elle voulait oublier tout, pardonner, se réconcilier avec lui. Elle voulait s’accuser elle-même et le justifier.

« C’est moi qui suis coupable ; je suis agacée, jalouse, insensée. Je me réconcilierai avec lui ; nous partirons à la campagne et là-bas je serai plus calme », se dit-elle.

« Pas sincère », se rappela-t-elle tout d’un coup ; ce qui l’offensait le plus, c’était moins le mot que l’intention blessante.

« Je sais ce qu’il a voulu dire. Ce n’est pas naturel quand on n’aime pas sa fille d’aimer l’enfant d’une autre. Que comprend-il à l’amour maternel, à mon