Page:Tolstoï - Œuvres complètes, vol18.djvu/166

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tant les bagues de sa main gauche, se représentant vivement les divers sentiments éveillés par sa mort, et elle souriait de compassion pour elle-même.

Des pas approchèrent et la tirèrent de ses songes. Feignant d’être occupée d’arranger ses bagues, elle ne se retourna même pas.

Vronskï s’approcha d’elle et lui prenant la main prononça doucement :

— Anna, partons après-demain si tu veux. Je consens à tout.

Elle se tut.

— Eh bien ? fit-il.

— Tu le sais toi-même, dit-elle, et n’ayant plus la force de se retenir, elle sanglota. — Lâche-moi, lâche-moi, prononça-t-elle entre ses sanglots. Je partirai demain… Je ferai même plus… Qui suis-je ? Une femme perdue, une pierre à ton cou… Je ne veux pas te tourmenter… je ne le veux pas… je te délivrerai… tu ne m’aimes plus… Tu en aimes une autre…

Vronskï la suppliait de se calmer, lui jurant que sa jalousie n’avait aucun fondement, qu’il n’avait jamais cessé de l’aimer, qu’il l’aimait plus qu’auparavant.

— Anna, pourquoi te tourmenter et me tourmenter ? dit-il en lui baisant les mains.

Son visage exprimait maintenant de la tendresse ; il lui semblait entendre des larmes dans sa voix et sentir sur sa main leur humidité.