Page:Tolstoï - Œuvres complètes, vol18.djvu/203

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lui révélait, le sens de la vie et des liaisons humaines.

« Mon amour devient de plus en plus passionné, de plus en plus exigeant, et le sien s’attiédit de plus en plus, voilà pourquoi il faut nous séparer… Et il n’y a point de remède… Pour moi, lui est tout, et j’exige qu’il se donne à moi de plus en plus… lui, au contraire, désire de plus en plus s’éloigner de moi… Avant notre liaison nous allions à la rencontre l’un de l’autre, maintenant chacun va de son côté… et il n’y a rien à faire… Il me dit que je suis jalouse d’une façon insensée, et je me suis dit moi-même que je suis sottement jalouse, mais ce n’est pas vrai… je ne suis pas jalouse… je suis malheureuse, mais… »

Elle ferma la bouche suffoquée par l’émotion que faisait naître en elle la pensée qui lui vint, et changea de place dans la voiture.

« Si je pouvais être autre chose que sa maîtresse, qui aime passionnément ses caresses, mais je ne le puis pas et ne veux être rien d’autre… Par ce désir j’excite son dégoût et sa haine… et il n’en peut être autrement… Ne sais-je pas qu’il ne me trompait pas en disant qu’il n’a point en vue mademoiselle Sorokine, qu’il n’est pas amoureux de Kitty, qu’il ne me trahira pas ?… Je sais tout cela, mais cela ne me soulage pas. S’il est bon et tendre pour moi, par devoir, sans m’aimer, c’est alors pour moi mille fois pire que sa colère !… C’est un enfer…