Page:Tolstoï - Œuvres complètes, vol18.djvu/212

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« Je regrette beaucoup que le billet ne m’ait pas trouvé. Je rentrerai à dix heures », écrivait Vronskï, d’une écriture négligée…

« Je m’y attendais ! » se dit-elle avec un méchant sourire.

— Bien, retourne à la maison, dit-elle doucement à Mikhaïlo. Elle parlait doucement car la rapidité des battements de son cœur l’empêchait de respirer.

« Non, je ne te laisserai pas me torturer », pensa-t-elle adressant une menace non à lui ni à elle-même mais à l’objet de ses tourments. Et, suivant le quai, elle dépassa la gare.

Deux femmes de chambre qui montaient sur le quai tournèrent la tête pour l’examiner et firent à haute voix une réflexion sur sa toilette : « Des vraies », dirent-elles parlant des dentelles d’Anna. Les jeunes gens continuaient à l’agacer ; la dévisageant et riant ils passaient devant elle, en prononçant d’une voix factice des paroles quelconques.

Le chef de gare la croisa et lui demanda si elle partait.

Un garçon, un marchand de kvass, ne la quittait pas des yeux. « Mon Dieu, où dois-je aller ? » pensa-t-elle tout en s’éloignant de plus en plus de la gare.

Au bout du quai elle s’arrêta. Des dames, des enfants, un monsieur à lunettes qui riait très fort, cessèrent de causer et l’examinèrent quand elle passa près d’eux.