Page:Tolstoï - Œuvres complètes, vol18.djvu/241

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l’énergie physique j’en ai assez pour m’introduire dans le carré, le renverser ou mourir. Cela, je le sais. Je suis heureux d’avoir une cause à laquelle je puisse donner ma vie, cette vie dont je n’ai que faire et qui me pèse… Elle sera au moins utile à quelqu’un. — Il eut un mouvement d’impatience de la mâchoire, causé par le mal de dents qui l’empêchait de s’exprimer comme il le voulait.

— Vous surmonterez tout cela ; je vous le prédis ! dit Serge Ivanovitch, touché. Délivrer ses frères du joug, c’est un but digne de la mort et de la vie. Que Dieu vous donne le succès extérieur et la paix intérieure, ajouta-t-il en lui tendant la main.

Vronskï serra fortement la main tendue de Serge Ivanovitch.

— Oui, comme arme je peux encore être bon à quelque chose, mais comme homme je suis fini, prononça-t-il lentement.

Le mal de dents, qui emplissait sa bouche de salive, l’empêchait de parler. Il se tut en regardant les roues d’un tender qui s’avançait lentement sur les rails.

Et tout d’un coup, un autre mal, intérieur, le força à oublier momentanément son mal de dents. À la vue du tender et des rails, et sous l’influence de la conversation qu’il venait d’avoir avec une personne qu’il n’avait pas revue depuis son malheur, il se la rappelait tout d’un coup, elle, ou plutôt ce qui restait d’elle, quand, comme un fou, il